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Dossier : L’article L228-2, épée tranchante pour les droits des cyclistes

À Toulon comme ailleurs, on observe de nombreux travaux de voirie qui ne comprennent strictement aucun aménagement cyclable. Nous, cyclistes, revendiquons depuis des décennies que la métropole et la ville doivent mener une politique de mobilité qui prend en compte de manière systématique les besoins de la mobilité douce, et notamment du vélo. Nous constatons souvent que telle ou telle rénovation n’est « pas conforme » ou que la mairie ne respecte pas « la loi ». Le code de l’environnement est notamment souvent cité dans ces discussions. Mais la réponse, même des autres cyclistes, est souvent « Ouais mais finalement, la mairie peut décider que la circulation ne permet pas l’installation de pistes, et c’est terminé. »

Bien qu’elles soient souvent données avec humour, ces réponses révèlent un sentiment d’impuissance face aux collectivités.
Il vaut donc la peine de nous demander, tout simplement :

Lorsqu’on parle du code de l’environnement dans le contexte des aménagements cyclables, l’article L228-2 du code est celui auquel on se réfère le plus souvent. C’est cet article qui s’applique aux voiries en agglomération, et c’est aussi cet article sur lequel nous allons nous focaliser aujourd’hui. Il est cependant utile de savoir que l’article suivant (L228-3) a une fonction équivalente pour les voiries hors agglomération, et que l’article R110-2 du code de la route réglemente le double sens cyclable (DSC). Cet article R110-2 mérite bien qu’on en discute, car lui aussi est souvent méprisé par les collectivités et notamment celles du Var.

Mais comme il a été dit, nous allons nous focaliser sur l’article L228-2, pour des raisons de brièveté, mais aussi parce que, comme nous le verrons, c’est l’épée la plus tranchante en droit administratif que nous ayons à notre disposition en tant que militants vélo.

Bien que l’article L228-2 existe depuis l’année 2000, cet article a été modifié en 2019 pour le rendre plus clair et (comme nous le verrons) aussi plus contraignant pour les collectivités. Comme il s’agit d’un seul article, on peut le citer ici dans son intégralité, dans sa version en vigueur depuis le 27 décembre 2019 :

Pour comprendre l’impact de cet article, il est désormais important de comprendre le texte lui-même. Ensuite, un exemple d’application dans la jurisprudence montrera que cet simple article n’est pas à sous-estimer.

L’article L228-2, mot par mot

Même si l’article est relativement court, il contient plusieurs parties distinctes et il vaut mieux les comprendre une par une.

Quand est-ce que s’applique le L228-2 ?

Pour commencer, cet article s’applique uniquement aux voies urbaines. Comme indiqué précédemment, les voies hors agglomération sont couvertes par l’article L228-3 qui suit. De suite, la partie « l’exception des autoroutes et voies rapides » n’étonne personne. La définition notamment du mot « rénovations », par contre, fait souvent objet de débats devant les tribunaux. La jurisprudence en connait deux interprétations :

La première s’appuie sur la notion de « consistance des travaux », qui affirme que les travaux doivent être d’une certaine ampleur pour être qualifiés de rénovations. Par exemple une reconstruction, un élargissement, la création d’un trottoir, la création de stationnement longitudinal, mais aussi une réduction de chaussée.

La deuxième interprétation affirme que tout type de travaux sur la voirie, « […] dès lors que ces travaux sont de nature à modifier les conditions de circulation sur ces voies […] », peut être considéré comme une rénovation. Cependant, cette interprétation reste moins courante.

Les aménagements. Tous les aménagements !

Cette liste des aménagements est très pratique car selon la jurisprudence, elle est exhaustive ! On y trouve évidemment les aménagements auxquels on s’attend comme des pistes et des bandes cyclables.

Dans le contexte toulonnais, il est déjà intéressant de noter que les marquages au sol sont réservées aux chaussées « à sens unique à une seule file ». En revanche, les marquages au sol sur les trottoirs ne font pas partie de la liste, ce qui est également pertinent pour Toulon. L’aménagement qui leur ressemble le plus sont les voies vertes, mais celles-ci font elles-mêmes l’objet d’une réglementation, notamment en termes de largeur minimale de 3 mètres en milieu urbain et de bidirectionnalité.

Un point important aussi : la phrase « en fonction des besoins et contraintes de la circulation » ne permet pas aux collectivités d’échapper à la mise en place d’aménagements; comme on le verra, selon une jurisprudence bien établie, leur choix se limite strictement au type d’aménagement à mettre en place et non à la présence ou non d’un tel aménagement.

Utilisation des voies de bus : excuse bidon ou véritable solution ?

La prochaine partie de l’article, ajoutée en 2019, est la suivante :

On pourrait être tenté d’appliquer cette partie aux travaux réalisés sur le boulevard Strasbourg. Il est bien évident qu’une emprise de plus de 20 mètres d’une façade à l’autre, comme on en trouve sur nos grands boulevards, ne permet pas des excuses du type « l’emprise disponible est insuffisante » et que la collectivité serait donc contrainte de réaliser un aménagement à part. Cependant, au moment où ces travaux ont été réalisés, l’article L228-2 était encore bien plus court, et notamment cette formulation n’y figurait pas encore. Néanmoins, vu le projet de bus à « haut » niveau de service (BHNS) à Toulon, cette partie semble pertinente. Il est à noter que « les conditions normales de sécurité prévues au code de la route » pour un dépassement exigent un mètre de distance entre cycliste et bus.

Le plan de mobilité comme contrainte pour la ville

C’est cette phrase qui donne souvent l’impression aux militant·e·s cyclistes que la ville a toute autorité pour écarter les aménagements cyclables d’un projet de rénovation de voirie. Mais en réalité, cette phrase ne permet qu’un choix du type d’aménagement. C’est alors ce choix qui doit tenir compte du plan de mobilité, lorsqu’il existe. Notamment, la jurisprudence de Marseille implique que la collectivité est contrainte de mieux aménager les axes importants du plan de mobilité.

La Jurisprudence : un cas exemplaire à Marseille

Le cas du boulevard de la Blancarde à Marseille semble particulièrement pertinent, car il a été plaidé et jugé sur la base de la version actuelle de l’article L228-2.

En 2020, la métropole Aix-Marseille-Provence avait refait la surface du boulevard sur un tronçon d’environ 650 mètres. Sur une partie, elle n’avait pas installé d’aménagements, et sur une autre, elle avait installé une piste cyclable séparée, mais à sens unique. Dans sa réponse au recours gracieux de l’association « Collectif vélos en ville », la métropole invoquait des excuses qu’on connaît aussi très bien à Toulon : voirie trop étroite, impact sur la circulation, besoin de stationnement, caractère résidentiel du quartier, dynamisme commercial.

Voilà le boulevard de la Blancarde, avant et après les travaux de 2020 sur la partie non aménagée (en haut) et sur la partie aménagée à sens unique :

Sur cette partie haute avec la piste à sens unique, l’emprise de la voirie est selon la métropole de 11,90 mètres de large.

Le recours gracieux était suivi par un recours contentieux devant le tribunal administratif de Marseille, puis, en deuxième instance, devant la cour administrative d’appel de Marseille. Le jugement final a été rendu en mai 2023. Les points d’attaque de la métropole étaient largement les mêmes que ceux évoqués dans sa réplique en recours gracieux, mais aussi des points administratifs tels que la recevabilité du recours, la contestation d’une décision faisant grief et la compétence du président de l’association selon ses statuts pour mener le recours.

Les deux instances ont largement soutenu les revendications de l’association, sauf une qui portait sur un tronçon du boulevard qui n’avait pas vu de travaux. Notamment, on retient que le choix de la métropole portait bien sur le type d’aménagement et non sur sa présence.

Si la métropole avait évoqué des raisons pour l’absence d’un aménagement, la cour les a rejetées, car la métropole admettait ne pas avoir étudié les possibilités d’aménager la voirie avec les aménagements prévus par l’article L228-2. Bien qu’une collectivité puisse donc évoquer des exceptions aux exigences du L228-2, ces exceptions doivent être fondées sur une impossibilité soutenue par des faits et des études techniques. L’absence d’études invalidait les arguments liés à l’emprise, à la nécessité du stationnement, à la mise en place d’un aménagement à sens unique, ainsi que le remplacement d’un aménagement conforme par une zone 30 (qui ne figure pas dans la liste du L228-2).

Pourtant, l’auteur s’est rendu sur le boulevard en octobre 2024 pour examiner la situation sur le terrain, et trouvé celui-ci dans le même état qu’on peut voir sur les photos Street View de 2023. Alors que le délai de six mois fixé par le tribunal administratif a bel et bien été dépassé, aucun aménagement n’a été mis en place pour respecter le jugement. Selon l’un des membres du collectif vélo, la mairie ignore les jugements faute d’amende fixée. Il incomberait donc à l’association de porter plainte une deuxième fois pour les faire respecter. C’est la triste réalité politique.

Sur le plan financier, la métropole a été, dans les deux instances, condamnée à payer les frais du collectif vélo : 1200 euros en tribunal administratif et 1500 euros en cour administrative d’appel. Cependant, on constate que le risque financier n’est pas du tout symétrique : la métropole avait demandé 4000 euros de frais en tribunal administratif et 3500 euros en appel.

Bilan

L’article L228-2 n’est pas une solution miracle aux problèmes de politique de (ou contre le) vélo, mais il reste l’un des meilleurs moyens de faire pression sur une collectivité, avec, en théorie, la force de la loi derrière lui. Car le combat politique sur la nécessité et les avantages du développement des infrastructures cyclables a déjà été mené. Il en résulte un corpus de textes juridiques qui laisse peu de marge de manœuvre aux collectivités en la matière. Nous pouvons donc, dans une certaine mesure, laisser le débat politique au second plan et nous concentrer sur l’application de la loi telle qu’elle existe aujourd’hui.

Dans le contexte toulonnais, il est d’abord essentiel de constater qu’en principe, les aménagements cyclables ne sont pas un luxe qu’on doit mendier, mais une exigence que la loi impose à la ville et à la métropole pour tout travaux importants de voirie.

Selon l’auteur, l’article L228-2 s’appliquerait directement aux travaux à Toulon, à la fois ceux qui ont eu lieu les dernières années, comme sur l’avenue de la République, mais aussi ceux qui viennent de se faire comme sur l’avenue Lyautey, et ceux qui vont commencer bientôt, comme le boulevard du 112ème régiment d’infanterie qui mène à la préfecture. Une capacité qui, en retour, rendrait moins probable la nécessité d’un recours contentieux.

Différentes manières d’y parvenir peuvent être envisagées, comme par exemple l’appui sur la communication publique avec appel aux dons, ou un partenariat avec des entreprises dont les employé·e·s pourraient profiter des aménagements, mais aussi avec d’autres associations qui portent un discours lié au développement du rapport modal de mobilité, comme la qualité de l’air ou la santé publique.

La réalité politique à Toulon est telle qu’il appartient à nous, militant·e·s cyclistes, de revendiquer ce dont nous avons déjà le droit. À nous de choisir des cas exemplaires qui puissent établir une jurisprudence aisément applicable à d’autres dossiers sur notre territoire.

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