Droits des piétons, des cyclistes, des usagers des transports en commun.

Vélo

Un an après la mort de Paul Varry

Un an après la mort de Paul Varry, où en est-on de la violence motorisée ?

Le 15 octobre 2024, le jeune Parisien Paul Varry, cycliste engagé, meurt sur une piste cyclable, écrasé sous une voiture. Cet événement choquait la nation entière, et suscitait des réactions partout où il y a des cyclistes. La mission « Contre les violences, protéger tous les usagers de la route » était créée à la suite par le ministre délégué chargé des transports du gouvernement Barnier dont le rapport était publié en avril 2025.

Si les cas d’une violence aussi grave que celle contre Paul Varry (où le conducteur de la voiture est mis en examen pour meurtre) restent rares, la violence routière, en générale, est depuis trop longtemps perçue comme une fatalité. Et elle commence bien avant l’utilisation d’une voiture comme arme. Alors faisons un petit état des lieux : une année après la mort si violente d’un cycliste qui ne voulait rien qu’être respecté sur la voirie qui lui était réservée, où sommes-nous sur le chemin vers un partage plus sain, plus respectueux de la voirie ?

Un sentiment de mépris

La Fédération des Usagères et des Usagers de la Bicyclette (FUB) vient de publier un bilan de la situation sur le plan national. Même que le rapport Barbe sur les violences motorisées est rempli de recommandations concrètes, et d’interpellations de l’État, la politique se désintéresse du vélo ; décision difficilement justifiable, vu les enjeux et la contribution qu’un développement du vélo pourrait apporter.

Mais le vélo ne voit pas simplement un désintéressement de l’État ; le 18 septembre étaient publié les résultats du baromètre vélo 2025. Cette enquête, menée pour la première fois depuis 2021 par le monde associatif du vélo, tenait compte des violences motorisées, en réponse au meurtre de Paul. Et les résultats sont peu encourageants : 76 % des cyclistes indiquent avoir été victime de violence motorisée au cours des 12 derniers mois.

Pour prendre l’exemple toulonnais : nous observons une croissance d’environ un tiers de participation au baromètre vélo entre 2021 et 2025, en toute congruence avec le vécu des cyclistes. Mais les scores de la ville au baromètre sont restés presque identiques :

Et quand on demande aux cyclistes s’ils et elles se sentent respecté·e·s sur la route, leur réponse est claire :

Demandez aux cyclistes autour de vous leurs expériences : queue de poisson, klaxon quand on ose ne pas s’écarter au bord de la voirie pour permettre un dépassement sans respect de la distance de sécurité, prise de priorité… La mise en danger des cyclistes au quotidien est bien connue de tout cycliste. (Si vous ne comprenez pas en quoi un klaxon présente une mise en danger, on vous conseille de regarder une des vidéos de sensibilisation des chauffeurs de bus. Ou faites-nous confiance quand on dit que le klaxon est contre-productif dans ces cas-là)

Mais pourquoi les gens se croient permis de mettre en danger les cyclistes ?

Après des années passées en ligne en discutant des sujets du vélo, nous disons : parce que le discours public, au moins sur les réseaux dites « sociaux », donne l’impression que les cyclistes ne sont pas des usagers de la voirie légitimes. Il y a, miraculeusement, toujours une raison pourquoi un accident ou un conflit est la faute du cycliste. En fait, peu importe la véritable cause de l’accident ; au moment ou rien n’est connu sauf l’existence d’en accident, on cherche la culpabilité chez le cycliste :

Bon, c’est facebook… Notre équipe réseaux « sociaux » ne s’attend évidemment pas à un niveau de discours très élevé sur des plateformes qui ont pour seul et unique but de générer autant de réponses émotionnelles (lire : profitables) que possible. Nous ne nous attendons pas à voir prise en compte la nuance entre des cyclistes du quotidien et les cyclistes sportives, qui ont tout droit et raison de rouler sur la route pour leur permettre d’exercer pleinement leur sport, et qui roulent de toute façon à une vitesse plus similaire aux voitures qu’aux autres cyclistes.
Cette idée que les cyclistes ne sont pas des « vrais » usagers de la route, qu’ils et elles ne sont pas légitimes pour l’emprunter, n’est pas toujours si subtile. En continuation de l’exemple ci-dessus, une association locale revendiquait vite que cette départementale soit aménagée de manière sécurisante, car il ne s’agissait pas du premier accident sur cette rue. Voici le commentaire le « plus pertinent » dans les commentaires facebook :

La prochaine étape, après la délégitimation, c’est d’insister que le code de la route donne, étonnamment, le droit à tout conducteur de jouer le juge et de prononcer la peine de mort si un cycliste ose emprunter un passage piéton :

Si la peine de mort vous semble lourde pour une infraction qui est, de plus, souvent commise en réaction à une non-conformité de la route même, vous avez bien raison ! Mais ce genre de commentaire est monnaie courante dans les commentaires de toute publication qui fait même mention du vélo. En vérité, même pas besoin que le cycliste commette une infraction. Une action si banale que de rappeler la loi applicable à une décision d’urbanisme, et de dire que oui, nous, cyclistes, aimerions bien avoir des infrastructures qui nous permettent de circuler en sécurité, suscite des réactions qui laissent peu de marge d’interprétation :

Et quoi de plus grave que de proposer un aménagement cyclable ? Bingo, c’est d’en obtenir un !

Voici un simple article de VarActu sur les « vélorues », ce qui désigne tout simplement une rue où l’on n’a pas le droit de dépasser, même si ce n’est « que » un vélo. C’est un aménagement particulier, choisi sur des rues avec une emprise contrainte. Sous cette publication, comme pour d’autant d’autres, on trouve une véritable cloaque de haine :

Terminons notre petit tour d’exemples ici ; vous voyez bien que le niveau d’agressivité face aux cyclistes a quelque chose de particulier. Nos activités pro-piétons chez TVD, par exemple, ne suscitent que rarement des réactions hostiles. De même pour nos discours autour du BHNS et du Tramway, pourtant un sujet qui enflamme les esprits à Toulon. Pour tout sujet qui évoque le vélo, c’est toute autre chose.

Il est peu étonnant que ce mépris des vélos et des cyclistes ce traduise en un comportement peu respectueux sur la route. Mais est-ce une fatalité ? Quand on regarde les exemples ci-dessus, il est clair qu’il y a un problème. Mais qui doit s’en charger ? Si l’on croit les commentaires facebook, c’est simple : il faut juste que tout le monde se respecte plus. Facile, n’est-ce pas ? Sauf que d’évidence ça ne marche pas. (En règle générale, toute phrase qui contient le mot « juste » ne ressoude rien.)
Rien à faire alors ? Faut-il accepter qu’être cycliste, c’est être un humain moins valable ? Loin de là !

Que fait-on alors ?

Évitons pour l’instant des solutions qui demandent à chacun et chacune de mieux se comporter. Bien que souhaitable, ce n’est pas un plan. Le potentiel d’action le plus fort reste avec l’État, mais aussi avec les collectivités. Dans des villes comme Strasbourg et Grenoble, où le vélo a déjà bien pris sa place, il peut paraître difficile de faire des avances, même si le rapport Barbe contient des conseils qu’il faudrait bien prendre en compte. Mais chez nous, dans le Var, on n’en est pas là ! On vient de loin et alors les premiers pas sont aussi simples qu’ils sont nécessaires : respectez la loi ! Oui, ça paraît anodin, mais ça ne l’est vraiment pas. Car ici, on ne se limite pas à demander aux individus de la respecter, mais surtout aux collectivités !

Sur le plan policier, rares sont les infractions qui ont de véritables conséquences pour le conducteur. Les dépassements trop proches, le stationnement sur la piste cyclable, les klaxons pour faire dégager la route, les excès de vitesse en pleine journée, tout cela n’est pas normal. La police doit veiller à ce que la loi soit appliquée, d’autant plus pour les véhicules qui peuvent tuer.

Puis, pour re-donner aux cyclistes l’air de légitimité sur la route… rendez-nous la route. Au moins la partie qui, oui, nous est dû selon le code de l’environnement ! Beaucoup de gens ont envie de se mettre en selle, mais, face à des infrastructures absentes et le comportement des conducteurs, font le choix rationnel de la voiture individuelle. La protection par les nombres marche. Plus on voit de cyclistes sur la route, plus leur présence se transforme d’une menace qu’il faut combattre à tout prix en une normalité. Au contraire, des actions (illégales) des collectivités comme l’interdiction tout court du centre-ville de Sanary, ou des grands travaux de voirie sans installation d’un aménagement cyclable, donnent la (fausse) idée que les cyclistes ont à mendier des aménagements, quand la loi comme la jurisprudence dit tout autre chose.

C’est aux collectivités de briser le cercle vicieux entre absence d’aménagements corrects et absence (relative) de cyclistes.

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